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Baie de l'Enfer
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27 décembre 2006

John sifflait cet air en marchant dans la rue, la fille encore accrochée à son bras

   
eberlue


   

Pourquoi John siffait-il cet air en marchant dans la rue, la fille encore accrochée à son bras. Il savait que c’était un air de jazz appris par cœur pour épater un ami. Mais le nom de l’ami, le nom du morceau et la raison pour laquelle ce truc s’imposait malgré lui à ses lèvres ne franchissaient pas la barrière de brume qui enfermait sa cervelle malade. Charlie Parker, mais le nom du morceau ? Et pourquoi ce Charlie, il aurait pu siffler un air de Charlie Christian ou Charlie Mingus, plus en rapport avec cette fille ou mieux assortie à cette rue en pente qui les remontaient du port ? Il s’en foutait. Ce devait être un air de Charlie Parker, et celui-là justement parce que il était infredonnable par un sourd au jazz. John détestait le jazz.

Lui revint en mémoire le concert affreux de ce pianiste virtuose qui s’acharna toute une soirée à transporter dans un trip perso le public qui avait payé très cher son entrée. Après des entrées rapides sur des thèmes très connus, il déblatérait de longues, d’épuisantes élucubrations grotesques et personnelles dénuées de sens, compliquées à l’extrème et totalement insupportables pour des oreilles ordinaires. Quand revenait enfin après mille baillements retenus le thème du départ, c’était hélas l’annonce d’un nouveau morceau appelé par de frénétiques applaudissements assurément complaisants. Comment pouvait-il en être autrement ? Ces gens étaient-ils tous fous à lier ? Non. On le lui avait répété assidûment, c’était lui, John qui était sourd, définitivement sourd au jazz.

Seulement John sifflait cet air en marchant dans la rue, la fille encore accrochée à son bras en remontant la rue qui les éloignaient du port. Alors une scène s’éclaira au fond de l’écran de sa mémoire sombre. Elle l’avait traîné dans une boîte de jazz, un caveau sous la ville excitée pour taper du pied et secouer le menton d’un air entendu. Lui n’entendait pas ces airs, mais il la voulait, elle, et voulait lui plaire. Alors il s’est accoudé au piano avec un Cuba libre à la main et l’a regardée. Elle ne dansait pas, non, comme les autres venus au fond de ce trou. Elle écoutait gravement avec un sourire figé sur les joues et son pied tapait le sol et sa main la cuisse d’un air entendu. John en fut agacé et regarda le pianiste que tout le monde écoutait. C’était un bel homme immense avec cinq phalanges à chaque doigt qui couraient en tous sens sur le clavier. John aima la ferveur de cet homme avec sa sueur sur le front. Il distinguait à peine le mouvement des phalanges tellement elles allaient vite. Il regarda les épaules et lu les heures d’acharnement, il regarda la mèche blanche qui se noyait dans le gris des cheveux, il vit les douleurs aux articulations de ce géant poussé trop vite quand il était môme et mal nourri. Et la musique, cette fois entra dans ses oreilles. Il ne tapa pas du pied, ne secoua pas le menton. Il écouta. Cette fois.

Alors pourquoi John sifflait-il un air de Charlie Parker en remontant la rue du Port une fille au bras. Pour se prouver qu’il aurait pu ne pas être sourd si le jazz était entré au bon moment et par la bonne porte. Peut être. Allez savoir.

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Commentaires
J
boum ! oui, je suis touché !
S
Le seul brouillard où tu pourrais<br /> te perdre est celui qui empêcherait<br /> ton coeur de battre, de sentir la main<br /> qui te frôle, d'entendre la voix t'appelle,<br /> de laisser ta lumière briller...et je la vois<br /> même les yeux fermés! <br /> Que pétille cette fin d'année et que te soit<br /> plus douce celle avenir.<br /> A travers le brouillard je t'envoie un baiser<br /> au souffle du vent...qu'il te touche doucement.<br /> <br /> Stairway
C
sage décision .. se laisser guider sans attentes, sans demandes, juste dans le courant de la vie et là où elle nous entraîne même dans la brume où tout se créé toujours !<br /> cat
J
alors je les ferme et me laisse guider
C
J'adore la brume et le brouillard et jouer à deviner ce qui se cache là derrière ou dedans, tout autant que la brume et le brouillard ne m'empêchent pas de voir réellement ! la brume en Bretagne ou ailleurs peut ouvrir bien des portes à celui qui en effet a les yeux ouverts !<br /> tu ne crois pas ?<br /> cat
Baie de l'Enfer
  • Né d’un soir de solitude et d’une canette de bière, réveillé amnésique sur un port avec la gueule de bois. Truc classique de celui qui joue un personnage, il met un peu de lui, un soupçon de rêves, une cuiller d’imagination et sa schizophrénie ordinaire.
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