enclume et calfatage
(à la recherche d'une bouteille et de la mémoire)
John laissa les yeux fermés plusieurs longues minutes. Une enclume battue par un forgeron dingue sonnait juste derrière ses sourcils. Le sol se dérobait sous ses pieds. Il tenta de rester immobile malgré le léger roulis qui animait son corps. Debout, les yeux toujours fermés, une nausée au bords des lèvres serrées sur sa cigarette, il essaya de respirer profondément. Une odeur de poisson pourri agrémentée d’algues en décomposition traversa la fumée de sa clope et lui arracha un haut-le-cœur. Désormais, il en fallait beaucoup plus avant qu’il ne répande tripes et boyaux misérablement à ses pieds. Il prit sur lui d’inspirer à nouveau une grande goulée d’air, suivie de quelques autres. Puis, toujours les yeux fermés, il écouta. Les bruits alentours ne correspondaient pas à l’odeur. Sa mémoire endomagée lui disait que les odeurs de poisson, d’algues pourries, de fer rouillé et de calfatage bitumineux était celle d’un port. Mais nulle agitation, nul bruit de grincement d’appareil de levage, nulle animation et surtout, nul cri d’oiseau marin. Le bruit des vagues qui s’écrasent contre un quai. C’est tout. Et ça ajoute à l’impression générale de tangage.
Merde faut j’allume une nouvelle clope. Fait chier d’avoir paumé mon nom-de-dieu de putain de briquet.
Le geste fut joint à la pensée et permis qu’il se décide à entrouvir les yeux. Il mit une nouvelle cigarette à ses lèvres et utilisa l’extrémité du mégot précédent pour l’allumer. La fumée lui fit cligner les yeux. Il étira une paire de longs bras musclés, reprit sa cigarette de la main gauche et bailla du mieux qu’il put en faisant craquer ses maxillaires.
Bordel, qu’est-ce que je fous-là ? Je ne sais même pas où trouver un zinc ici. C’est désert ce coin !
Il lui revint à l’esprit plusieurs images de port, tous bien vivants, remuants, agités. Il ne sait pourquoi cette ambiance lui manquait. Ce n’est certes pas le bruit qui lui faisait défaut, dans l’état où il était, son crâne n’aurait pas supporté un décibel de plus. Chance, il régnait dans ce lieu un silence de mort. Non, c’est l’activité des arrivées et départs de bateaux, les dockers, les filles, les conteners et les dealers qui n’étaient pas là mais dont l’absence soulevait en lui des pans d’ombre sur les fichiers altérés de sa mémoire.
Amnésique.
Le mot commençait à avoir un sens. Il savait que c’était son problème. Il savait aussi qu’il était mort. Mais dans l’instant ces deux mots n’avaient pas l’importance que revêtait pour lui un comptoir de café. Un autre mot vint occulter tout espoir de pensée relativement sensée : bourbon. Il se mit lentement en marche et allongea au ralenti de puissantes emjambées vers une destination inconnue, si possible civilisée et bien fournie en vivres de première nécessité, de l’alcool et du tabac.